La cause incausée de Platon et d'Aristote


Cause incausée

 « Contre notre position métaphysique, on trouve principalement la croyance en un dieu créateur et ordonnateur de l’univers. Pour tenter de prouver l’existence de ce dieu, Platon et Aristote commencent par chercher la cause d’une chose, puis la cause de la cause, puis la cause de la cause de la cause et ainsi de suite jusqu’à postuler l’existence d’une cause première, aussi appelée “le moteur non-mû”, “la cause incausée” ou simplement dieu[i]. Toutefois, le raisonnement qui introduit l'idée d'un dieu incausé au nom de la Causalité est complètement fallacieux, puisqu'il abolit le principe sur lequel il s'appuie. En effet, une cause incausée viole le principe de Causalité, or c’est au nom de ce principe que Platon et Aristote affirment l’existence de leur dieu. C’est bien pour avoir une cause à l’origine de l’univers que les théologiens prétendent déduire l’existence de dieu. En conséquence, si au final on est prêt à accepter l’idée que dieu puisse exister tout seul, sans cause, pourquoi ne pas simplifier le problème et envisager que l’univers puisse exister seul, sans besoin d’une action divine extérieure ? Pourquoi ne pas transférer la faculté divine de pouvoir exister seul, sans raison externe, à l’univers tout entier comme le font Bruno et Spinoza ? Si malgré les explications déployées précédemment, vous ne parvenez toujours pas à entrevoir comment l’univers peut flotter tout seul dans l’existence, par la seule nécessité de sa nature, voyez au moins l’inefficacité de recourir à la cause incausée.

Les théologiens ne font que repousser la difficulté de compréhension de l’existence de l’univers au mystère insoluble de l’origine de leur dieu. Diderot ridiculisait ce déplacement du problème: “Demandez à un Indien pourquoi le monde reste suspendu dans les airs, il vous répondra qu'il est porté sur le dos d'un éléphant et l'éléphant sur quoi l'appuiera-t-il ? sur une tortue ; et la tortue, qui la soutiendra ? Cet Indien vous fait pitié et l'on pourrait vous dire comme à lui: mon ami, confessez d'abord votre ignorance, et faites-moi grâce de l'éléphant et de la tortue.[ii]

 L’introduction d’un dieu externe n’apporte rien à notre compréhension du monde, et complique même inutilement le problème. De plus, comme rien de perceptible dans la nature ne trahit manifestement l’existence d’une telle entité surnaturelle, j’en conclue que cette idée de dieu n’existe dans l’esprit des hommes qu’à cause de ce raisonnement fallacieux. En conséquence, cette conception de dieu ne s'élève même pas au niveau d’une hypothèse inutile, mais est bien plutôt un faux-concept, à ranger très bas dans l’échelle des certitudes.

L’idée de ce type de dieu, véhiculée par la plupart des religions, provient en fait de l’ignorance et de la superstition. C’est en effet l’ignorance originelle des hommes préhistoriques face aux phénomènes naturels, incompréhensibles, qui a induit l’idée d’une entité surnaturelle, transcendante, et dépassant la Raison humaine au-dessus des choses. Croire en l’existence de ce type de dieu, c’est bien affirmer la limite métaphysique du principe de Raison et l’incapacité de la Raison humaine devant les mystères. Le succès de cette conception de dieu a institué le principe de Causalité limité et le développement de toute la fausse philosophie qui va avec, et à laquelle on a presque exclusivement assisté ces derniers millénaires. »

Extrait de « l’Amour de la Raison Universelle »

Le livre l'Amour de la Raison Universelle par le philosophe Willeime




[i]. La cause incausée. Le concept de cause première est développé par Platon (les Lois, X, 895) pour combattre l’athéisme. Aristote reprend cette idée, en définissant Dieu comme “quelque chose qui meut sans être mû” (la Métaphysique, XII/Lambda, VII), et que la plupart des commentateurs ont qualifié de “cause incausée”.

[ii]. Denis Diderot, Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient. Contre la cause première incausée voir aussi: Paul Thiry d'Holbach, Système de la nature, Chapitre II. Thomas Jefferson, lettre à John Adams, 11 Avril 1823. Donatien de Sade, Dialogue entre un prêtre et un moribond.

   



Les Lumières contre la cause première incausée


      Il a fallu attendre Spinoza puis le siècle des lumières pour
voir apparaitre une critique radicale de la justification platonicienne et aristotélicienne du Dieu monothéiste par l'argument de la cause incausée.

    Interrogé sur l'origine de l'univers, le baron d'Holbach expliquait que
vouloir remonter au-delà (du monde naturel) pour trouver le principe de l’action dans la matière et l’origine des choses, ce n’est jamais que reculer la difficulté.
d'Holbach. Système de la nature, Chapitre II

    Thomas Jefferson résumait:
Cela donne complètement gain de cause aux disciples de Ocellus, Timée, Spinoza, Diderot et d'Holbach. L'argument sur lequel ils s'appuient, triomphant et sans réplique, est que, dans toutes les hypothèses de la cosmogonie, vous devez admettre une préexistence éternelle de quelque chose, et selon la règle de la saine philosophie, vous n'avez jamais à employer deux principes pour résoudre une difficulté lorsqu'un seul suffit. Ils disent alors qu'il est plus simple de croire à la fois dans la préexistence éternelle du monde, tel qu'il est actuellement en cours, et qui pourrait continuer indéfiniment par le principe de la reproduction de ce que nous voyons et de témoignage, plutôt que de croire en l'éternel préexistence d'une cause ultérieure, ou créatrice du monde, un être que nous ne voyons pas, dont nous ne savons rien, et qu'aucun sens ne peut nous informer de la forme de sa substance, de son mode ou de son lieu d'existence, qu'aucun pouvoir de l'esprit nous permet de délimiter ou de comprendre.
Thomas Jefferson. lettre à John Adams, 11 Avril 1823.

        Ainsi,
ton Dieu lui-même, ainsi que je te l'ai déjà dit, aurait besoin d'explication, sans en fournir aucune; et que, par conséquent dès que ton Dieu n'est bon à rien, il est parfaitement inutile; qu'il y a grande apparence que ce qui est inutile est nul et que tout ce qui est nul est néant; ainsi, pour me convaincre que ton Dieu est une chimère, je n'ai besoin d'aucun autre raisonnement que celui qui me fournit la certitude de son inutilité.
le marquis de Sade, Dialogue entre un prêtre et un moribond





Les stades de l'incroyance religieuse



Platon contre Démocrite


Einstein, Dieu et la religiosité Cosmique


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