La Signification de l’épicurisme

Epicure

 

 

    Dans l'antiquité, le philosophe Grec, Epicure avait créé une école dans son jardin. Sur son portail était inscrit: « Hôte, ici tu seras heureux, le souverain bien y est le plaisir ». A l'époque, cette affirmation fit scandale, et la signification de ce qu'Epicure entendait par plaisir a depuis été sujet à autant d'interprétations contradictoires...
    
Nietzsche parlait "d'idylle héroïque" pour qualifier la philosophie d'Epicure. Je reconnais en Nietzsche l'un des rares à avoir perçu la signification profonde de l'épicurisme: ce bonheur lumineux, venant d'un héroïsme existentiel, qui jouit du triomphe sur les peurs et malheurs de la vie présente.

   



Douceur bucolique et Héroïsme existentiel: l'Idylle Héroique d'Epicure


L'âme du sage épicurien sait retenir le plaisir. Elle le conserve, l'amplifie intérieurement au point de devenir moins dépendante des sources de plaisirs extérieurs et peut se suffir de peu pour se maintenir continûment dans le plaisir.

« la vie d'Epicure, comparée à la vie des autres hommes, pourrait être considérée, en raison de sa douceur et de sa suffisance à soi, comme une fable »
Hermaque, Sentence Vaticane n°49

« Je resterai assis à attendre votre retour charmant et divin »
Epicure, cité par Diogène Laerce

« au spectacle, le sage prend plus de plaisir que tout le monde »
Le sage selon Epicure, cité par Diogène Laerce

« Par Apollon, ma petite Léontie, mon cœur, avec quel excès de plaisir ne nous sommes-nous pas réjouit à la lecture de votre lettre ! »
Epicure, cité par Diogène Laerce

« Ce dernier jour est le plus beau de toute ma vie »
Epicure, lettre d'adieu à Idoménée

« Dans ma maladie, mes entretiens ne portaient jamais sur les souffrances de mon pauvre corps ; je n'en parlais jamais à ceux qui venaient me voir. Mais je continuais à m'occuper des principes ayant trait aux questions naturelles, cherchant surtout à savoir comment la pensée, tout en se ressentant des commotions du corps, reste exemple de trouble et conserve le bien qui lui est propre. Je ne fournissais pas non plus aux médecins une occasion de se flatter d'un résultat, et ma vie s'écoulait heureuse et digne  »
Epicure, cité par l'empereur Marc-Aurèle

« Toute douleur est facile à mépriser »
Epicure, sentence vaticane n°4

  
« Va ton chemin en indestructible et souviens toi de moi comme d'un indestructible »
Epicure à Colotes, d'après Plutarque


« la plus grande douceur est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d'où s'aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent çà et là en cherchant au hasard le chemin de la vie »
Lucrèce (II, 7-13)

Ne pas se cacher la dureté de la condition humaine, ni nier la souffrance, mais la surmonter grâce à une joie accrue par la pratique philosophique est une attitude qui transparaît chez Lucrèce
(II, 7-13), dans le fragment  d'Epicure cité par Marc-Aurèle (Us 191) et dans la lettre à Idoménée. C’est en effet l’attitude d’Epicure juste avant de mourir (Us 138. Us 122), fasciné par le plaisir d’avoir triomphé de l’existence. Je vous invite à faire le lien entre ce sentiment d’invincibilité acquise (Us 141. Us 601) et l’exaltation générale des épicuriens. Plutarque mentionne des rugissements d'extase, des cris de grâce, des salves d'applaudissements tumultueux, des démonstrations révérencieuses, et tout l'appareil de l'adoration chez les épicuriens (Us143. Us 419. Us 605). L'épicurien Philodème parle de “transports divins(à l'adresse des...).
Extrait des notes de l'Amour de la Raison Universelle

N’en déplaise aux adversaires, les épicuriens condamnent la paresse (Lucrèce, III, 1046-1048; V ,48), font l’éloge du courage et de la détermination (Lucrèce, III, 55-58. Lettre à Ménécée, [131]) car ils jouissent déjà dans le présent des biens futurs. L'épicurien trouve en effet dans le désir des buts qu'il vise, une joie déjà disponible pour le présent (Maxime vaticane n°35 et 48). Il vaut mieux faire de bons calculs, même malchanceux, qu’avoir de la chance après de mauvais calculs, car ce qui a de la valeur, c’est réussir dans les entreprises que l’on a sagement méditées”  Epicure, lettre à Ménécée
Extrait des notes de l'Amour de la Raison Universelle


Carpe Diem

La formule “Cueille le jour” [Carpe Diem] est d’Horace, poète influencé par l’épicurisme. Cette formule fut reprise par Pierre de Ronsard dans ses Sonnets pour Hélène: “Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie”, mais son sens est depuis souvent déformé en un hédonisme anxieux, fuyant le réel, à cause de la peur de la mort. Dans la philosophie épicurienne, c’était au contraire une invitation à magnifier ses joies présentes après avoir justement pris conscience de sa finitude et de la mortalité du monde.






Erreurs d'interprétation de l'Epicurisme


Erreur courante: faire d'Epicure un débauché

      La culture populaire associe Epicure au plaisir, ce qui n’est pas faux, mais Epicure défend le plaisir du point du sage, avec tout ce que être sage implique selon lui. Le plaisir épicurien est un plaisir mesuré, qui ne doit pas être entendu seulement pour sa dimension sensuelle, mais aussi dans sa dimension morale. Selon Epicure, il y a un plaisir à réaliser certaines belles actions ou à adopter une certaine attitude (voir SV 44, SV 63) :

   
« Il est non seulement plus beau de faire du bien que d’en recevoir, mais aussi plus agréable ; rien, en effet, n’est aussi fécond en joies que la bienfaisance  »
Epicure d'après Plutarque, Philosophandum esse cum principiis, 3, 778c   (Us 544)

   « Lorsque nous disons que le plaisir est le souverain bien, nous ne parlons pas des plaisirs des débauchés, ni des jouissances sensuelles, comme le prétendent quelques ignorants qui nous combattent et défigurent notre pensée. Ce ne sont ni les beuveries et les banquets continuels, ni la jouissance que l’on tire de la fréquentation des mignons et des femmes, ni la joie que donnent les poissons et les viandes dont on charge les tables somptueuses, qui procurent une vie heureuse, mais des habitudes raisonnables et sobres, une raison cherchant sans cesse des causes légitimes de choix ou d’aversion, et rejetant les opinions susceptibles d’apporter à l’âme le plus grand trouble »
Epicure, lettre à Ménécée


    Dans l’antiquité, beaucoup d’adversaires de l’épicurisme ont fait semblant de croire que le mot plaisir n’était à entendre que dans un sens sensuel. Sénèque reconnaît que c’était là de la calomnie et que « la loi que nous (stoïciens) imposons à la vertu, il (Epicure) l'impose, lui, au plaisir » (De la vie bienheureuse, Chap XIII).



Erreur des érudits: faire d'Epicure un ascète

 
        Certains commentateurs sont tombés dans l’excès inverse et considèrent qu’Epicure réduit le plaisir uniquement aux besoins minimaux du corps (boire de l’eau et manger du pain). C’est la thèse que reprend notamment Michel Onfray dans sa contre-histoire de la philosophie. Il est vrai que certains témoignages peuvent donner l’impression d’ascétisme, cependant il faut remettre ces sources dans leur contexte. On oublie trop souvent de rappeler qu’Epicure a vécu la famine suite à un siège à Athènes et qu’il a sauvé ses disciples en rationnant la nourriture (il aurait compter les fèves d'après Plutarque, Démétrius, 34), ce qui explique l’importance de sa théorie sur la suffisance au strict besoin nécessaire dans l’adversité, mais qui n’est pas un ascétisme comme but en soi. Epicure précise en effet :

« Il ne s’ensuit pas qu’il faille toujours se contenter de peu, seulement, quand l’abondance fait défaut, nous devons pouvoir nous contenter de peu »
Epicure, lettre à ménécée.

« Nous avons recherché la suffisance à soi non pour faire usage en toute circonstance de choses frugales et sans apprêts mais pour tenir bon au cas où nous serions confrontés à elles »
l'épicurien Idoménée d'après Stobée, florilège, III, XVII, 13. ("les épicuriens" delattre p. 195).

A ce propos, on remarque rarement que les textes moraux dont nous disposons (la lettre à Ménécée et les citations de Sénèque) sont des défenses contre les accusations de débauche. Nous n’avons pas les premiers textes d’Epicure qui devaient être plus hédonistes. Autre point litigieux, la version originale de la maxime vaticane n°33 ne dit pas que celui qui n’a ni faim, ni soif « rivalise de bonheur avec Zeus », mais seulement « qu’il peut lutter pour le bonheur » (voir Jean-François Balaudé, Epicure, p213, note5 et Julien l'apostat, sixième discours contre les cyniques ignorants).


Epicure, Musée du Capitole  Diogène Laërce nous dit que selon Epicure "le bonheur se conçoit en deux sens" [121] Le bonheur désigne à la fois bonheur constant du sage/dieu et également le bonheur qui varie en intensité selon l'adjonction ou la soustraction des plaisirs. Ainsi: « [Epicure] est en désaccord avec les Cyrénaïques sur la théorie du plaisir. Ceux-ci mettent le plaisir, non dans le repos, mais dans le mouvement. Épicure accepte les deux, qu’il s’agisse de l’âme ou du corps…. [Les épicuriens] disent : « Le plaisir, c’est ce qui est en repos, et ce qui est en mouvement. » Et Épicure dit dans le livre du Choix : « L’ataraxie, l’absence de douleur sont des plaisirs en repos, la joie et l’allégresse sont des plaisirs en mouvement » [136]. Si l’épicurisme était un ascétisme, Epicure aurait seulement accepté les plaisirs en repos (méditation, indépendance) et aurait condamné les plaisirs en mouvement, or il considère les deux.

Pour mieux montrer l'erreur de l'interprétation ascétique, je rappelle les extraits suivants:


« Si les causes qui produisent les plaisirs des débauchés défaisaient les craintes de la pensée, […] nous n’aurions rien, jamais, à leur reprocher, eux qui seraient emplis de tous côtés par les plaisirs […] »
Epicure, Maxime Vaticane X

« Pour moi, je ne sais pas ce que je pourrai appeler bien, si j’ôte les plaisirs de la table, de l’amour, de la conversation, et des belles choses. »
Epicure, conclusion de son ouvrage perdu des fins, cité par Diogène Laerce et évoqué aussi par Cicéron dans son "des fins", II, III et par Plutarque.


« le Sage doit sans cesse se partager entre le souvenir des plaisirs qu'il a goûtés, et l'espérance de ceux qu'il attend.  »
Epicure d'après Cicéron, Tusculanes. Us 439.


« L’habitude d’une vie simple et modeste […] permet de mieux goûter une vie opulente, à l’occasion […] »
Epicure, lettre à ménécée 

« On ne se prive pas des plaisirs de Vénus »
Lucrèce, Livre V.


« Tout plaisir est de part sa nature même un bien »
Epicure, lettre à ménécée 


« Toi qui ne seras plus demain, tu diffères la joie, mais la vie périt par le délai, et chacun d’entre nous meurt à se priver de loisirs »
Epicure, Maxime Vaticane 14.

Ici, l’opposition avec le bouddhisme est saisissante. En effet, pour Bouddha:  « L'homme qui s'attache à cueillir les plaisirs comme des fleurs, est saisi par la mort qui l'emportera comme un torrent débordé emporte un village endormi »
Dhammapada


       Ce dernier point est peut-être le plus important. Pour Epicure la vie du sage est remplie du souvenir des plaisirs cueillis et du bien accompli : « C’est à l’heureux et dernier jour de ma vie que je t’écris cette lettre. Mes intestins et ma vessie me causent une souffrance inexprimable. Mais pour compenser toutes ces douleurs, je puise une grande joie dans le souvenir qui restera de mes ouvrages et de mes discours (testament d’Epicure, DL) ». Lucrèce condamne les insensés qui ne savent pas recueillir le plaisir et le perde dans un « vase sans fond » (De la nature, III, 936-939, VI, 17).

Athènes    Remarquons que chez Lucrèce, la critique des excès du désir touche peu le citoyen commun mais est presque exclusivement dirigée contre les excès des dirigeants politiques. En effet, Lucrèce dénonce le désir de "l'or et la pourpre", "les trônes", "les trésors", "les statues, les honneurs" et toutes les guerres et crimes commis pour acquérir toute cette fausse gloire (II, 1-39, V, 1113-1140, 1422-1435) bref... Lucrèce condamne déjà à son époque le faste monarchique, la courtisanerie, les intrigues de palais et les assassinats politiques qui séviront durant l'empire romain jusqu'à l'avenant des Antonins, les meilleurs empereurs romains, sous influence épicurienne via Plotine (voir ci-dessous).

Epicure    Ainsi, bien qu’il me semble incontestable qu’il y avait une volonté de modération des désirs et de suffisance à soi chez les épicuriens, je pense toutefois, comme d’autres (Geneviève Rodis-Lewis, Jean Salem…) que l’interprétation ascétique est incorrecte. Conclure qu’Epicure demanderait de satisfaire seulement les désirs nécessaires du corps serait contradictoire avec sa maxime capitale 21 qui recommande au contraire de « satisfaire les désirs nécessaires et les désirs naturels », mais même ce résumé de la doctrine doit être interprété avec prudence car la pratique de l'amitié, de la philosophie (et d'autres activités issus de témoignagnes sur la vie d'Epicure, voir plus bas) n'apparaissent pas clairement dans cette classification des désirs. Il y a donc vraisemblablement au moins une certains maladresse de la part d'Epicure dans l'expositon de sa doctrine, source de biens des polémiques. A ce propos, il est intéressant de noter que Cicéron déclare que les épicuriens "agissent mieux qu'ils ne parlent" (des fins, II, XXV), autrement dit différement que ce que les adversaires ou une lecture trop rigoriste de leurs principes conduirait à déduire.

 
  

Autres erreurs dues à des lectures trop catégoriques

 
       Pour Epicure, le plaisir est notre guide intérieur qui doit nous orienter dans nos choix contre les conventions sociales et les opinions vides. Sa théorie du plaisir est presque plus un humanisme qu’un hédonisme. Epicure donne souvent des recommandations sur ce que doit faire selon lui le sage, mais il n’édicte pas de lois, car tous les hommes n’ont pas la même nature. Il n’y a pas d’interdits, ni d’obligations dans l’épicurisme. Beaucoup de commentateurs ne semblent pas avoir compris cela, ce qui me semble être le cœur même de cette philosophie qui juge tous ses choix sur le plaisir qu'ils produisent et refuse aucune autre autorité. Voyez par exemple :

Si Epicure semble penser que le sage ne doit généralement pas se marier ni avoir des enfants, il pourra néanmoins le faire dans certaines circonstances. Métrodore, « le second Epicure » était marié, et avait des enfants, dont Epicure pris soin après sa mort. Epicure soutient également le marriage de la fille de Métrodore, suggérant que sa critique du marriage vaut probablement pour le sage (qui est un éducateur), mais pas pour les individus plus ordinaires. Diogène Laerce.   
    Si Epicure rejette le poids institutionnel de la culture:
« Je crache sur ce beau et ceux qui l’admire à vide, si il ne produit pas le plaisir » « Il faut honorer la noblesse, les vertus et toutes les choses de cette sorte, si elles produisent le plaisir. Sinon, non. » (Epicure, d’après Athénée; Us 70), il ne rejette pas l’art qui produit du plaisir. Ainsi, il allait dès le matin au théatre pour écouter les joueurs de flûte. Au jardin, on réalisait des tableaux des moments mémorables (ex : Colotès à genoux vénérant Epicure, d’après Plutarque dans ses traités anti-épicuriens). Pline mentionne également un tableau de l’épicurienne Léontium en train de méditer. Lucrèce et Philodème ont écrit des poèmes.
   
Si Epicure pense que le sage a acquit un bien immortel que rien ne peut retirer et reste donc heureux en lui, même sous la pire torture, il précise que "le sage peut s'attrister en certaines occasions" et "quand on le torture, il peut se plaindre et gémir" Diogène Laerce.
   
Si Epicure méprise les honneurs et déconseille la politique, il ajoute : « ceux qui aime les honneurs et la gloire ne doivent pas rester inactifs mais suivant leur nature s’occuper des affaires publiques et gouverner car ils seront malheureux si par suite de leur inaction, ils ne peuvent pas obtenir ce qu’ils désirent » Us 555. (voir aussi MC VII). De plus pour Epicure, le sage servira un monarque si l'occasion se présente d'après Diogène Laerce.
   Le même raisonnement s’applique à tous les autres domaines (voir Pierre Gassendi, « Vie et mœurs d’Epicure »)

A propos des épicuriens culturels en politique,
 voir les exemple
s de:

- l'épicurien Atticus, l'ami de Cicéron (biographie par Cornelius Nepos)

    - Cassius, assassin de Jules Caesar, justifiait ce meurtre par des principes épicuriens ; mais on trouve aussi beaucoup d'épicuriens qui soutenaient Jules Caesar. Certains analystes décèlent d'ailleurs chez Jules Caesar des idées proches d'Epicure. Enfin, le beau-père de Jules Caesar, et grand père d'Auguste Lucius Calpurnius Piso Caesoninus, consul en -58, fut en même temps le protecteur du philosophe épicurien Philodème de Gadara.

    - l'impératrice Plotine, femme de Trajan, attachée à la philosophie épicurienne et protectice de cette école (Lettre à Hadrien). Elle inspira la politique sociale de Trajan. Elle impose Hadrien comme sucesseur à Trajan et est aussi à l'origine du marriage d'Hadrien avec Vibia Sabina qui refusera de lui donner des enfants probablement pour en finir avec les caprices des fils d'empereurs (les Caligulas, les Nérons...) et obliger au contraire Hadrien à nommer comme successeur le plus apte. En effet, Hadrien est très soucieux de sa succession et choisi Marc-Aurèle, mais comme il est encore trop jeune, Antonin ferra la transition mais Hadrien insiste pour qu'Antonin adopte Marc-Aurèle, permettant ainsi la perpétuation de la sagesse à la tête de l'empire romain... Ainsi, Marc-Aurèle, l'empereur stoïcien doit indirectement sa nommination à l'action d'une impératrice épicurienne. Mais Marc-Aurèle est un stoïcien qui, comme Sénèque, présente des affinités et des compatibilités avec Epicure. Il crééa d'ailleurs quatre chaires de philosophie à Rome dont une pour l'épicurisme afin de perpétuer la sagesse antique.


Le Débat Plaisir/Vertu


Epictete    Depuis Kant, on simplifie souvent en disant que les stoïciens défendent le plaisir de la vertu, alors qu’Epicure défendrait la vertu seulement parce qu’elle sert à obtenir le plaisir. En fait, la situation est plus complexe, car Epicure considère lui aussi qu’il existe un pur plaisir de la vertu (par exemple Us544). Sénèque reconnaissait qu’“Epicure aussi est d’avis qu’avec la vertu l’homme est heureux(lettre à Lucilius n°85). Cicéron observait que la majorité de ses contemporains considéraient “qu’Epicure enseigne qu’une action juste et honnête est à elle seule productrice de joie(Des Fins, I, VII, 25), et effectivement, l’épicurien Torquatus “applaudit” la doctrine du plaisir de la vertu des stoïciens (Des Fins, I, XIX, 61). A propos des épicuriens, Cicéron concède que “le mot vertu est sur leurs lèvres tout le temps, et ils déclarent que le plaisir est seulement l'objet du désir au début, et ensuite l'habitude produit une sorte de seconde nature, qui fournit une motivation pour de nombreuses actions ne visant pas du tout le plaisir(Des Fins, V, XXV; Us 398).
Extrait des notes de l'Amour de la Raison Universelle




Le Sensualisme Animal


   Epicure a souvent pris l’animal comme exemple, pour montrer que le plaisir est une notion naturelle, partagée par de nombreux êtres vivants. Il ne fait pas pour autant de la sensibilité animale son idéal philosophique, comme semble l'avoir compris certains adversaires. En effet plusieurs textes épicuriens nous disent que les animaux ne peuvent pas atteindre l’ataraxie car ils sont privés d’intellect. Ils sont condamnés à subir des peurs dont ils ne peuvent se libérer, au contraire du philosophe (Philodème, sur les dieux ; Polystrate).


 

Le Désir Fini et de Désir d'Infini: La limite d'Epicure ?

 
Place du Capitole à Rome    Chaque plaisir vécu est unique et toute tentative de prolonger ou renouveler le plaisir est en fait toujours la création d'un instant nouveau et différent. Ainsi, si un plaisir pouvait se figer complètement dans une hypothétique conscience immobile dans le temps et durer pour l'éternité dans un paradis, alors ce plaisir ne vaudrait en fait pas plus que le même plaisir vécu un seul instant par un mortel sur Terre. Ainsi, Epicure t'invite à ne pas désirer l'impassibilité des dieux mais plutôt à développer l'art de varier les plaisirs.

    "Le temps illimité et le temps limité contiennent un plaisir égal, dès lors qu'on a correctement pris la mesure des limites du plaisir par le raisonnement" (SV 22).

   Epicure considère que les désirs absurdes se perdent dans l'illimité et que l'homme doit avoir des désirs bornés et se fixer des objectifs atteignables (Maximes Capitales XIX, XX, XXI). Si l'on peut saluer l'effort de rationalisation de l'existence, Epicure commet à mon avis une erreur en liant forcément le désir d'infini à la déraison humaine. Epicure laisse là un espace dans lequel viendra s'engouffrer le christianisme.
    Plutarque fait, sur ce point, une critique pertinente: "le visage de la mort que tout le monde redoute c'est celui de l'insensibilité, de l'oubli et de l'anonymat", auquel Plutarque oppose l'espoir d'immortalité "pour subsister dans l'être et ne pas disparaitre". (qu'il n'est pas possible de vivre plaisamment selon les principes d'Epicure, XXVI-fin).

    Et pourtant, en opposition avec les principes énoncés dans ses maximes, Epicure manifeste paradoxalement lui aussi un désir d'infinitude, une nouvelle contradition (au moins apparante) que les adversaires comme Plutarque n'ont pas manqué de souligner. En effet, Epicure souhaite voir son enseignement se poursuivre au-delà sa mort et ne pas être oublié. Par ailleurs, il déclare avoir acquit des "biens immortels" et des vision cosmiques de l'éternité (SV n°10. Lettre à Ménécée). Pour beaucoup, cela est très insuffisant face à la promesse chrétienne de résurrection au paradis, ce qui explique en partie l'échec de l'épicurisme face à la montée du christianisme. L'épicurisme était une doctrine qui, comme le stoïcisme, reposait sur une très forte exigence envers soi et un héroïsme existentiel naturellement présent dans la culture greco-romaine mais qui décline à partir du IIIe siècle.

    Pourtant si Epicure avait mieux développé l'éternité des essences et la multiplicité de l'existence inhérente à sa théorie de la nature, il aurait pu battre ses adversaires religieux sur leur propre terrain, mais malheureusement il ne l'a pas fait. Aussi, pour qu'un nouvel épicurisme l'emporte véritablement sur les religions traditionnelles, il faut reprendre et améliorer cette doctrine, ce que nous nous sommes employés de faire dans l'Amour de la Raison Universelle.


Le livre l'Amour de la Raison Universelle par le philosophe Willeime


Epicure: Présentation, ses Dieux, et Maximes


Epicure sur Démocrite


La philosophie du Bonheur et du Souverain Bien: Epicure et Spinoza 

Démocrite, Epicure, Lucrèce: des idées scientifiques avec 2000 ans d’avance 


  Présentation Générale de l'essai: « l’Amour de la Raison Universelle »


Page principale du site du philosophe Willeime